vendredi 2 novembre 2012

Pathologie de la lecture

Pour son tout premier Vases Communicants, A l'encre bleu nuit a le plaisir d'accueillir Martine Silber, grande lectrice, qui vous parle de livres, elle aussi ! Qui se ressemble s'assemble ?



 Dès l'enfance, lire a été un problème. On trouvait que je lisais goulument, on m'accusait  de lire trop vite, de sauter des pages, de ne pas comprendre ce que je lisais.  J'ai pris l'habitude de me cacher. Au fond du jardin. Au grenier. Sur le balcon, même en hiver.

Je lisais tard sous les draps avec une lampe de poche et quand je me faisais surprendre, le livre était confisqué et on m'annonçait que j'allais devenir aveugle. Je ne suis pas devenue aveugle mais sourde, laissant les adultes  s'égosiller, le téléphone sonner, tandis que je changeais de position comme seuls savent le faire les enfants, une jambe en l'air, la tête en bas.

 Lire est devenu un plaisir défendu, et au fur et à mesure,   une addiction.

Si je pars en vacances, par peur de manquer, j'emporte un énorme sac de bouquins. Non seulement pour ne pas rester sans rien à lire, mais pour pouvoir aussi choisir. Ce qui ne m'empêche pas d'en acheter sur place si par malheur il y a une librairie car je ne peux pas entrer dans une librairie sans acheter de façon compulsive ( pas un seul, mais deux ou trois livres au moins et cela peut aller bien plus loin...). Si je n'ai rien à lire dans le métro,  dans une salle ou une file d'attente, l'angoisse m'envahit. Je n'ai qu'une idée, m'enfuir, sortir, trouver un livre, un journal, n'importe quoi pour survivre.

Quand je termine un livre, le choix du suivant est atroce. Comme tous les drogués sérieux, j'ai des provisions d'avance, les étagères débordent, les piles montent  sol. J'en saisis un puis un autre, avec une sensation de malaise au fond de l'estomac, incapable de me décider.



J'ai été un peu sauvée par ma liseuse électronique. J'y empile les e-bouquins  sans vergogne. Personne d'autre que moi ne peut les voir. Mes réserves sont dissimulées, connues  de moi seule et si j'accumule sans lire tout de suite, pas de réflexions désagréables, pas de sourcils levés, pas de soupirs désabusés.

Mais je ne peux pas m'empêcher d'acheter aussi des livres papier. Je n'aime pas beaucoup le shopping, mais je en résiste pas aux devantures des libraires. Et de la vitrine à la porte d'entrée, il n'y a qu'un pas que je franchis avec allégresse, totalement consciente que je ne ressortirai pas les mains vides.

Bien sûr, je rate les stations de métro, je prépare le déjeuner en retard, je lis le soir jusqu'à ce que mes yeux brûlent.

 Je crois même que si j'ai appris plusieurs langues, ce n'est pas pour communiquer avec les autochtones, mais plutôt  pour pouvoir lire dans le texte, sans passer par le filtre de la traduction.

Je fréquente peu les bibliothèques que j'ai pourtant écumées dans mon enfance, je déteste emprunter, je  veux mes livres à moi, chez moi. Mais j'en prête. Ou du moins, j'en achète en double pour pouvoir les prêter. J'en achète aussi en double parce que j'ai oublié que je les avais déjà achetés. Plus étrange, j'ai beaucoup de mal à me décider à lire ceux que l'on m'offre, qui attendent parfois des mois, des années...

J'ai fait de cette addiction mon métier en devenant critique littéraire pendant assez longtemps, presque par hasard. Mais il n'y a pas de hasard, on le sait bien. Seulement, cela n'allait pas. Je croulais sous les mauvais livres et je n'avais plus le temps de lire ceux dont j'avais envie. En outre, lire armée d'un crayon, ce n'est plus la même façon de lire et j'ai été finalement soulagée d'arrêter et de passer à la rubrique théâtre, puis d'avoir un blog théâtre (http://marsupilamima.Blogspot.com). Une autre façon d'aimer les textes et d'en parler en préservant mes lectures.



 Merci à Valérie de me prêter cet espace, pas vraiment pour parler de livres, mais de cette pathologie de la lecture dont je crains qu'elle ne soit incurable...mais ce n'est pas une maladie orpheline, nous sommes assez nombreux, non?



7 commentaires:

  1. Il manque à la liseuse, la chair, hélas.
    Mais ici, de ce manque, point !

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  2. la liseuse est toute mince! Pratique en déplacement....Mais bien sûr, ce n'est pas pareil

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    1. je partage ton avis Martine, une liseuse c'est l'idéal pour la lectrice pathologique...

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  3. Je découvre Martine Silber et sa description de son rapport aux livres et à la lecture et je m'y retrouve totalement et ce dans tous les détails excepté que je ne lis pas en VO malheureusement !
    Je me savais lectrice pathologique mais aujourd'hui je me sens moins seule dans mes manies et angoisses du manque, du choix etc...
    Merci Martine !

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  4. bienvenue parmi les grands malades Chalipette! Je disais aujourd'hui même à un petit fils ado qui s'enferme avec son ordi qu'à son âge je faisais pareil avec les livres....Et j'ai la même passion pour le théâtre (voir mon blog), ce qui est aussi prenant et en plus fatigant

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  5. Témoignage tout en sensibilité, par quelqu'un qui doit l'être tout autant.
    Merci pour ce partage !

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  6. je profite de cet espace pour remercier Centrino de son compliment ...bonnes lectures à nous ;-)et je signe de mon nom twitter, allez zou

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