lundi 26 septembre 2016

rentrée littéraire, bof...



Tout a commencé par un tweet râleur, j’ai écrit « J'aime pas la rentrée littéraire (sur le ton du schtroumpf grognon). Va falloir que je m'en explique »

Il est évident qu’on ne peut pas se contenter de cela, qu’il faut argumenter. d'ailleurs on m'a posé des questions à ce sujet. Voici donc quelques explications : 

D’abord la débauche de livres. C’est angoissant de voir débouler dans les librairies, dans les journaux, plus de 600 bouquins dont on ne lira que quelques-uns… Chaque roman est une rencontre, une expérience unique et voir autant d’opportunités de découvertes dont on ne profitera pas est une immense frustration. On me rétorquera sans doute qu’une telle abondance augmente les chances de faire la bonne rencontre, à travers la diversité de sujets traités, ceux qui nous intéressent, ceux qui nous laissent froids. Ce serait vrai si tous ces livres avaient les mêmes chances au départ, en termes d’exposition médiatique et de durée de vie sur les tables des libraires. Hélas… 

Ensuite, les enthousiasmes sur les "bons livres" me paraissent excessifs. Il faut laisser faire le temps pour que les vrais bons livres surnagent. Très vite un roman est qualifié d’exceptionnel, mais qui se souvient de la plupart des prix Goncourt ? Il suffirait de les qualifier de « bons » puis de laisser faire les lecteurs, le bouche à oreille… 

Troisième raison,  je n'aime pas les "il faut". Les journalistes se posent trop souvent en prescripteurs, ça m'agace. Ils vous parlent de livre « à lire absolument », des 10 livres à emmener dans sa valise de vacances, etc… le choix des mots n’est pas innocent : ils vous indiquent les livres que vous devez avoir lu si vous voulez être une personne cultivée, dans le mouvement ou je ne sais quoi. Voilà de quoi exacerber mon côté rebelle ! J'aime la liberté de choix, j’aime seulement qu’on me dise : ce roman m’a paru bon, et pas qu’on me dise ce roman « est » bon. De la même façon que je n’aime pas qu’on me dise que tel tableau « est » beau. Il le sera peut-être pour vous et pas pour moi, ou l’inverse.

Enfin  on parle trop des "grands" écrivains, qui n'ont pas besoin de ça pour vendre et pas assez des petits, des nouveaux, qui ont besoin de cette chance pour décoller. Cette tendance est au détriment de la diversité des styles, des voix, des thèmes… A ce dernier argument, @guillaumeduhan sur Twitter m‘a objecté « mais c'est la faute aux lecteurs aussi. Ils ne veulent lire que du Gallimard ou actes Sud... »

Je dois reconnaitre que ce n’est pas faux, et qu’il est difficile de savoir si les lecteurs ne lisent que Gallimard et Actes Sud parce que les journalistes ne parlent que d’eux, ou si les journalistes ne parlent que de Gallimard et Actes Sud parce que les lecteurs ne lisent que ces maisons. En tout état de cause, il me semble que quelques journalistes pourraient s’instituer "passeurs" vers les petites maisons, se donner comme mission d’ouvrir notre champ de vision... 

Mon interlocuteur souligne que certains médias se développent et deviennent de plus en plus indépendants, ou plutôt des canaux tels que les blogs. Ceci pose un nouveau problème : le foisonnement des blogs littéraires crée une jungle où il est difficile de s’orienter, de savoir si les auteurs ont de réelles compétences de critiques ou pas. Et même si j’en consulte quelques-uns, ce n’est pas cela qui me fera aimer la rentrée littéraire.

lundi 19 septembre 2016

L'âme de la maison



Jean Cocteau disait « Petit à petit, les chats deviennent l’âme de la maison » et je n’y croyais pas.

 

Ta présence était silencieuse, tu faisais pattes de velours. Tu choisissais tes moments de présence et tes moments d’absence, tu sortais des heures pour chasser et revenait dormir à la maison. C’est toi qui décidais quand était venue l’heure du câlin, et quand tu voulais la paix.

 

En résumé, nous menions chacun notre vie, sous le même toit certes, mais côte à côte plus que ensemble. La maison vivait avec toi, sans toi, elle vivait toujours. Toi, l’âme de la maison ? Allons donc, c’était la famille qui en était l’âme !

 

Puis tu as vieilli, et es devenu notre petit vieux acariâtre : tu râlais pour avoir à manger, tu râlais pour avoir une gratouille, pour qu’on t’ouvre la porte pour sortir. Mais c’était toujours toi qui décidais.

 

Enfin tu es devenu malade et aujourd’hui tu n’es plus. La maison maintenant est pleine du bruit de ton absence. Il y a les vides : l’endroit où se trouvaient tes bols de nourriture et d’eau par exemple. Il y a les manques : tu n’es plus à côté de la table, attendant une gratouille lors du petit déjeuner, ou un morceau de viande lors du dîner. Tu n’es plus derrière la porte quand je rentre, vautré sur le sol en attendant ta caresse du soir.  Et enfin il y a tous ces endroits que tu as marqué de ta présence : le fauteuil ou tu aimais à dormir, en alternance avec le canapé du salon ou notre lit, ton coin de soleil entre le pot de fleur et la fenêtre, le radiateur près duquel tu trouvas refuge quand, il y a bien longtemps, tu fus malade, le dossier du fauteuil ou tu t’allongeais pour surveiller la maisonnée, et tant d’autres petits lieux…

 

Au cours de tes vingt années, la maison a parfois changé, au hasard des changements dans la famille. Les pièces réaménagées te faisaient peur, et il me fallait t‘y emmener, t’y installer et là encore te gratouiller pour te convaincre que oui, c’était possible. Et petit à petit tu les faisais tiennes.

 

Alors maintenant je me dis que Cocteau avait raison et moi tort : tu étais l’âme de ma maison.

 

 

mardi 13 septembre 2016

Caïn, José Saramago




Épisode suivant de mes lectures de vacances, et ici aucune déception, la lecture de Saramago fut encore un éblouissement ! Il faut rentrer dans sa façon d’écrire, un peu surprenante : les noms propres n’ont pas de majuscule, les tirades d’un dialogue ne sont espacées que par une virgule, mais ces détails mis à part, puisqu’on s’y fait très bien, quelle prose exceptionnelle !

Comme le titre l’indique, Ce roman nous fait suivre l’itinéraire de Caïn, après qu’il eut tué Abel, Victime de l’injustice de Dieu qui a préféré les offrandes de son frère. Il erre sur un âne, au gré des lieux et des époques,  au hasard de sauts dans le temps qu’il ne maîtrise pas. Amant de Lilith, il va repartir sur les chemins et ainsi arrêter le bras d’Abraham, regarder mourir dans le feu des enfants de Sodome ; il verra la tour de Babel s’effondrer, Moïse massacrer son peuple au fil de l’épée, Jéricho être détruite, Job souffrir des conséquences d’un pari entre Dieu et le diable. Son voyage s’achève sur l’arche de Noé, ou il prendra une décision qui changera à jamais le cours des choses, mettant un terme définitif aux actes d’un Dieu qu’il juge cruel, orgueilleux, sans morale.

Plutôt que d’écrire de longues lignes expliquant en quoi ce livre est  formidable, je préfère vous régaler de quelques extraits bien choisi :

Et pourtant cet homme acculé avance, poursuivi par ses propres pas, ce maudit, de fratricide avait bien commencé, comme peu de personnes l’ont fait. Sa mère peut en témoigner, elle qui l’a trouvé si souvent assis sur le sol humide du jardin en train de contempler un arbrisseau fraîchement planté, attendant de le voir grandir. Il avait quatre ou cinq ans e il voulait voir pousser les arbres. Alors, visiblement dotée de plus d’imagination que son fils, elle lui avait expliqué que les arbres sont très timides, qu’ils ne poussent que lorsqu’on ne les regarde pas, C’est parce qu’ils ont honte, lui dit-elle un jour. Caïn garda le silence quelques instants, réfléchissant, puis il répondit, Alors ne regarde pas, mère, devant moi ils n’ont pas honte, ils ont l’habitude.

Ce que le seigneur avait annoncé s’accomplissait, il envoyait un grand vent qui ne laisserait pas pierre sur pierre ni brique sur brique. La distance ne permettait pas à caïn de sentir la violence de l’ouragan soufflait par la bouche du seigneur ni le fracas des murs, piliers, arcades, voûtes, contreforts s’écroulant l’un après l’autre, voilà pourquoi la tour paraissait s’effondrer en silence, comme un château de cartes, jusqu’au moment où tout finit dans un énorme nuage de poussière s’élevant dans le ciel et occultant le soleil. Bien des années plus tard, on prétendra qu’une météorite était tombée là, un de ces nombreux corps célestes qui errent dans l’espace, mais ce n‘est pas vrai, il s’agissait là de la tour de babel que l’orgueil du seigneur ne consentit pas à ce que nous la terminions .

Alors josué lança la malédiction suivante, Maudit soit celui qui se leva pour bâtir la ville de jéricho, que meure le fils aîné de celui qui en jettera les fondations et le puîné de celui qui en construira les portes. En ce temps-là les malédictions étaient d’authentiques chefs-d’œuvre littéraires, tant par leur force d’intention que par ‘expression formelle en laquelle elle se condensait, si josué n’avait pas été l’homme affreusement cruel qu’il fut, nous pourrions le prendre encore aujourd’hui pour modèle stylistique, en tous cas pour ce qui est du chapitre essentiel des imprécations et des malédictions, si peu fréquenté par la modernité.

La terre est immobile, seigneur, dit josué d’une voix tendue, désespérée, Non l’ami tes yeux te trompent, la terre bouge, elle tourne sur elle-même et tournoie dans l’espace autour du soleil (…) Je pensais que le fonctionnement de la machine dépendait uniquement de ta volonté, seigneur, Je ne l’exerce déjà que trop, ainsi que d’autres en mon nom, voilà pourquoi il y a tant de mécontentement (…)
Ce dernier extrait faisant le lien avec La discorde céleste de JP Luminet, lu cet été et chroniqué il y a quelques jours.

Bien sûr, les croyants convaincus parmi les lecteurs vont être épouvantés de ces extraits. Cependant ils sont complètement représentatifs de ce roman que j’ai trouvé particulièrement jouissif !